Présentation du thème

Avec l’intensification des migrations à l’échelle globale, les Etats européens sont confrontés aujourd’hui à de fortes tensions politiques. Tandis que l’Union européenne se révèle incapable de promouvoir un consensus autour d’une stratégie plus humaniste ou libérale bien comprise, les Etats membres durcissent les législations restrictives et répressives pour essayer d’endiguer les flux. La diversité et l’hétérogénité des situations que recouvre le phénomène migratoire conduisent les Etats à multiplier des réglementations catégorielles :  demandeurs d’asile, réfugiés, apatrides, migrants économiques, regroupement familial, travailleurs déplacés, victimes de réseaux d’exploitation de l’immigration illégale ou du trafic d’êtres humains. Ces réglementations catégorielles se heurtent néanmoins à la réalité composite et complexe qui caractérise  l’itinéraire singulier de chacun, exacerbant une confusion des régimes de droit et des statuts migratoires souvent perceptible dans les politiques européennes de l’immigration.

En effet, pendant les deux dernières décennies, l’Europe a reçu d’importantes vagues d’immigrés en provenance des pays pauvres de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique du Sud et venus grossir le rang des immigrés ‘sans papiers’. Réguliers ou clandestins, leur présence dans les territoires nationaux provoque, au sein même des populations locales, une réaction sociale de rejet, cherchant à accréditer l’idée d’une invasion devenue incontrôlable, constitutive d’un péril - pour la cohésion économique, sociale et culturelle du pays et d’un danger par le risque d’intrusion de criminels potentiels notamment de terroristes. Par ailleurs, la mise en œuvre de politiques restrictives provoque, elle-même, des situations d’exclusion sociale qui changent la géographie des villes et la vie quotidienne des citoyens, et exigent un positionnement des Etats. A cela s’ajoute un fait incontestable : la participation active des réseaux criminels dans la mobilité des migrants.

Dans l’opinion publique comme dans la rhétorique des gouvernants, l’immigration est associée aux dangers d’un effondrement global des systèmes d’appartenance et de protection. Le terrain est alors propice pour que l’amalgame entre l’immigration et la criminalité ait lieu, suscitant des réactions xénophobes et des comportements racistes qui s’installent durablement comme sentiments négatifs liés à la peur. L’idée que l’Europe vit une situation de risque permanent crée les conditions d’une construction sociale de la peur des migrants, confortée par la rhétorique étatique de ‘défense des territoires’.

Chaque vague de migration dans l’histoire a généré sa logique de « criminalisation » de l’étranger, versant négatif du dispositif idéologique qui devait assurer « l’assimilation », « l’intégration » et « l’insertion » de l’immigré correspondant respectivement aux trois moments dans l’histoire des migrations. Le plus ancien, lié aux migrations d'installation, tient l’étranger qui persiste dans son extranéité pour un raté de l’assimilation, avec, en arrière fond, la notion d’ennemi intérieur. Le critère de l’assimilation départit les migrants entre insiders” et “outsiders”, catégories déterminant le statut social, et clive les appartenances entre ceux qui acquièrent le statut de national et ceux qui restent cloués dans un statut de non national limitatif de l’accès aux droits et prohibitif de l’accès à la citoyenneté. Le deuxième moment, celui des logiques dites de "circulation migratoire", est celui de la confrontation aux problèmes de gestion du passage des frontières, puis d’incorporation des migrants économiques. Si le dispositif d’intégration accepte davantage l’échange et le maintien de différences culturelles sous réserve de respecter les valeurs et les règles de la société d’accueil, l’accession à un statut social et économique en est le gage, désignant comme envers négatif le migrant assigné au travail précaire, a fortiori le sans papier et sans droit. Le moment actuel, celui des réfugiés de guerre venus d’Afrique et du Moyen Orient constitue un phénomène inédit par rapport aux épisodes que l’Europe a connu précédemment y compris avec la guerre des Balkans et une menace pour la consolidation de la construction européenne. Paradoxalement, alors que de dispositif d’insertion se veut plus accueillant  à la diversité, la panique d’un débordement incontrôlable de l’afflux aux frontières de l’Europe menace de basculer  tout migrant ou étranger dans un statut d’ennemi objectif de l’unité et l’intégrité de la communauté.

Le concept de ‘crimmigration’ a été forgé pour permettre de saisir, sous ses multiples aspects sociologiques, économiques, politiques et juridiques, ce phénomène d’emprise grandissante du droit pénal sur les populations migrantes. Partout, une législation pénale d’exception, inspirée du droit de l’ennemi,  renforce le contrôle socio-pénal des migrants avec pour effet pervers l’internement massif des étrangers.

L’objectif de ces Journées d’Études est de promouvoir un débat autour de ces problématiques contemporaines en croisant les points de vue épistémologiques, sociologiques et juridico-politiques avec des approches théoriques critiques et empiriques. Il s’agit d’analyser les caractéristiques actuelles des populations migrantes en Europe, en portant une attention particulière à la situation des femmes et des enfants dans les parcours migrants ; et notamment le sens et le contenu des stratégies migratoires européennes ainsi que leur caractère régional ou globalisé. Par ailleurs, il s’agit d’interroger la manière dont les sciences sociales en Europe se sont saisies de ces politiques migratoires européennes afin de mettre à l’épreuve la pertinence heuristique du concept de crimmigration. Enfin, ces Journées d’étude feront une place aux réflexions prospectives et aux discussions sur la reconnaissance sociale et la promotion de la citoyenneté à l’intérieur des territoires nationaux, où des logiques de sécurisation se sont installées au cœur de la vie quotidienne. Ces aspects de la ‘crimmigration’ devront être abordés par les discutants à partir d’une perspective transnationale et pluridisciplinaire.

Ces Journées d’Études constituent l’acte fondateur de la Convention établie, en septembre 2015, entre Sciences Po Toulouse et la Faculté d’Économie de l’Université de Coimbra dans le cadre du Programme de Doctorat "Droit, Justice et Citoyenneté au 21e siècle" de la Faculté d’Économie, de la Faculté de Droit et du Centre d’Études Sociales de l’Université de Coimbra.

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